sublimation

Dans VARIATIONS

LA TARTE AUX FRAMBOISES (4)

Le 06/06/2024

Venons-en au coeur du sujet, justement. Si, pour Freud, l'amour est une "technique de l'art de vivre", je ne résiste pas à la tentation d'aménager la formule en posant que l'Art lui-même est une technique de l'art de vivre, une des nombreuses formes de l'amour, et l'une des plus élevée dans l'ordre de la sublimation. L'art est une main tendue, un lien universel, qui répond au besoin d'exprimer ses idées, ses émotions, au besoin de toucher l'Autre, d'entrer en contact, de communiquer au moyen du Beau. Précisant à toutes fins utiles que je ne suis pas de ceux qui pensent que l'Art n'a plus affaire à la Beauté, je laisse ceci aux amateurs de concepts qui sévissent dans nos ministères. L'Art est l'expression sublime de l'énergie de vie. Il questionne l'artiste comme la personne à qui il s'adresse. Il élève l'artiste comme la personne à qui il s'adresse. Il diffuse la force de vie. La force sensible. Le croire réservé à une élite, ou faire en sorte qu'il le soit, comme si l'on pouvait tordre le bras de l'avenir, revient à confondre l'art avec son destin public, commercial, mythomaniaque, où il perd sa majuscule et se confond avec la marchandise. Répétons-le, l'Art n'est pas le domaine réservé des génies, des politiques ou des intellectuels, pas plus que celui des riches collectionneurs. 

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Lorsque je parle d'Art, je parle de Poésie, la Poésie majuscule, en son sens le plus large, le plus enveloppant, le plus universel. Le plus simple. Le plus ordinaire. Le plus noble. La source, l'origine de l'Art. Le "Faire". La Poésie. Elle est un don universel, qui s'offre à chacun. Elle tient sa place dans le quotidien, le commun, qui par lui est projeté hors du commun. Créer ne se limite pas à créer des chefs-d'oeuvre reconnus du grand public et devenant parts de marché. Créer, c'est inventer la vie, à chaque instant. La transfigurer. Il y a sans doute beaucoup de peur, beaucoup de désespoir et de nostalgie dans l'acte créateur, il est un défi perdu d'avance face au temps qui nous emporte, en cette vie à laquelle nous ne voulons renoncer. Créer est un acte divin qui se passe de Dieu. Créer, c'est affirmer la vie, clamer la vie.

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Tout acte d'Amour, le plus infime, est un acte de vie, un acte de création. Je peux décider de forger le temps, de forger le bonheur, de prendre en charge la joie du monde qui me concerne immédiatement. La sublimation est un processus partagé entre le conscient et l'inconscient. Un individu peut parfaitement accéder au bonheur, ou s'approcher de son idéal, rayonner, sans avoir conscience qu'il sublime son énergie. Mais dès lors que la théorie psychanalytique donne des indications allant dans le sens d'une certaine accessibilité de la sublimation au moyen d'actions conscientes, pourquoi ne pas y avoir recours? Pourquoi ne pas utiliser cette "technique" de vie conduisant au bonheur? Lorsque Freud dit : "C'est la nature de ses dons et le degré de sublimation pulsionnelle qu'il lui est possible d'atteindre qui seront déterminants pour savoir où situer ses intérêts." il ouvra la voie à une "utilisation" volontaire de la dynamique sublimatoire.

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Lorsque je parle d'Amour, de partage, d'offrande, je parle de l'Autre. On pourra opposer à cet élan altruiste le cas de ceux qui n'ont aucune compagnie, ni amicale, ni amoureuse, ni même aidante. Ceux qui sont plongés dans la solitude. Eh bien je dirais que la dynamique décrite ci-dessus n'en perd pas sa validité, si l'impétrant revient à la source de l'énergie, à la source de la présence, c'est à dire soi-même. Mon raisonnement en revient souvent à l'idée que le Narcissisme de vie est une source d'énergie qui jaillit en chaque être et à laquelle on peut s'abreuver pour trouver ou retrouver la force nécessaire à l'élaboration de son propre bonheur. "Chacun doit chercher lui-même de quelle façon il peut trouver la félicité" (Freud in Le malaise). Je serait tenté de paraphraser ainsi : "Chacun doit chercher en lui-même..." Ce retour à la source narcissique, sans le considérer trop rapidement comme absolument salvateur, n'en demeure pas moins un recours auquel il faudrait toujours savoir accéder. Se faire plaisir à soi-même - le domaine sexuel n'y échappe pas, puisqu'il est dans les parages originels de tout ceci -  est un moyen élémentaire d'oeuvrer à son propre bonheur, même si celui-ci, rappelle Freud, ne semble pas dans les plans du destin. "Le programme que nous impose le principe de plaisir - devenir heureux - ne peut être réalisé, mais on ne doit pas - non, on ne peut pas - renoncer à ses efforts pour en approcher de quelque manière la réalisation" (Freud, in Le Malaise), ou encore ceci : "le narcissique, plus autosuffisant, cherchera les satisfactions essentielles dans les processus internes de son âme (Le malaise)" Or il se trouve qu'Amour et Sublimation entrent en résonances. Peut-être même que l'Amour ouvrirait la voie royale à la sublimation. Lorsque je m'investis dans un acte d'Amour, j'encourage la sublimation de mon énergie. Non seulement cela, j'emploie directement mon énergie dans le sens de la sublimation. Celle ou celui qui a un jour préparé une tarte aux framboises pour ses enfants comprend cela très simplement. L'énergie investie est vivifiée par l'acte d'Amour. Renoncer, ne pas agir en faveur du bonheur de l'Autre engendre par effet contraire un affaiblissement de l'énergie structurante du bonheur.

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On me pardonnera de faire un détour inspiré par la culture dans laquelle j'ai grandi, dans le sud-ouest de la France, qui me permettra de mieux exposer mon idée. Je voudrais revenir au couple faim et amour. La satisfaction de la faim, en particulier chez nous, va toujours de pair avec l'idée de plaisir. Sans que ce caractère soit exclusif, il n'est toutefois pas exagéré de dire que l'art de la table a atteint dans ces contrées une excellence remarquable, en témoigne les nombreuses étoiles gastronomique qui brillent au firmament du sud-ouest, et l'influence que cette culture a su diffuser sur la planète. Il est un corollaire de la faim, une notion afférente, qui est celle de plaisir, et pour employer un terme plus appétant, de "régal". Certes, rassasier son appétit ou étancher sa soif est en soi un plaisir, mais à compter du moment où l'être humain a développé son inventivité dans la façon se nourrir, pour apporter un surcroit de plaisir à la satiété, il a inventé la gastronomie. Cette dernière cherche à sublimer les saveurs, les parfums, mais aussi l'aspect, comme pour étancher la soif du regard, et même la capacité de rêver, de penser. Le plaisir lui-même est un ressortissant des domaines de l'amour. L'Amour est partout à l'oeuvre, autour de la table. L'amour de celui qui choisit les ingrédients, en fonction de leur qualité, qui ensuite cuisine, consacre son temps à l'élaboration d'un met, soignant autant que possible la préparation, élaborant toujours plus finement ses recettes, afin d'atteindre le coeur des convives, au-delà de leur régal, ou au moyen de celui-ci. Dans le même temps, c'est déjà un plaisir pour le cuisinier ou la cuisinière que d'oeuvrer aux fourneaux. Sur la cuisine, j'aurai sans doute l'occasion de revenir, afin d'évoquer le rapport au sein maternel, aux besoins, aux désirs, au plaisirs premiers, qui posent les bases de toute l'aventure gustative d'une vie.

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On ne me soupçonnera pas de circonscrire le domaine gastronomique aux seules tables étoilées. Ce que je profère ici, qui pourra être considéré comme contestable, mais s'avère très clair pour moi, concerne le plus simple des actes culinaires comme le plus élaboré. Ce dont je parle et l'intention qui anime l'acte culinaire, avant son résultat, ce dernier venant le parfaire quand il est délicieux. Ces idées s'appliquent à la simple tartine de pain frais, beurrée, saupoudrée de chocolat en poudre qu'une mère, ou un père, prépare à son enfant pour quatre heures, comme disait nos grands-parents...

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Or, et j'en arrive enfin à ce que je souhaitais partager, le fait même de commettre un acte en faveur du bonheur d'un être aimé, s'il est reçu pour tel, induit un retour d'énergie irradiante qui vient renforcer l'image, la satisfaction, l'estime de soi de celui qui a commis l'acte. C'est à dire qu'en agissant dans le sens de l'Amour, on induit une mécanique, une noria vertueuse, qui renvoie à sa source l'énergie investie. J'ai intitulé cette divagation sur la sublimation "La tarte aux framboises", parce que c'est en préparant une tarte aux framboises à mes enfants que j'ai très clairement perçu, dans leurs regard, dans le rayonnement de leur bonheur, dans leur gratitude, combien mon intention et mon acte dirigé vers eux m'a offert de plaisir et de bonheur en retour, et combien le temps d'un simple partage je m'étais senti à une juste et belle place dans ma propre existence. Sans prendre le cas particulier pour une généralité, ni tirer une vérité imparable d'une simple observation, cette expérience est venue s'ajouter à d'autres, dans d'autres domaines de la vie quotidienne, et à contribué à me convaincre que nous pouvons oeuvrer à la sublimation de notre énergie vitale, dans les actes les plus simples de l'existence. Et je suis aussi convaincu que cette dynamique, par répercussion à tous les niveaux d'investissement de l'individu, est à la base d'une vie sociale équilibrée et heureuse. Je ne m'aventurerais pas davantage sur le terrain de la société, n'étant pas spécialiste, mais je serais curieux d'entendre un psycho-sociologue évoquer les perspectives qui pourraient découler de cette réflexion à grande échelle. Peut-être qu'il y aurait ici un humble, partiel mais nécessaire remède au malaise dont souffre la culture.

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En conclusion, je reviendrais simplement aux écrits de Sigmund Freud, quand il exprime ceci : "... on est tenté de dire que l'intention que l'homme soit "heureux" n'entre pas dans les plans de la "Création". Eh bien, pourquoi ne reviendrait-il pas à l'individu lui-même de pallier ce défaut de planification, et d'oeuvrer lui-même à l'amélioration de son son propre bonheur? Ce serait déjà ça, et sans doute pas sans conséquences. Si l'on voulait être optimiste.

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© Olivier Deck

FIN (avant corrections et reprises...)

06.VI.24

Dans VARIATIONS

LA TARTE AUX FRAMBOISES (2)

Le 13/03/2024

Si l'on pouvait forcer la sublimation à loisir, il y aurait beau temps que cette possibilité aurait été employée. On devrait tout d'abord s'efforcer de mieux la comprendre, de comprendre ses manifestations, ses différents effets, et les actes que nous commettons, conduisant à des résultats qui semblent le fruit de la sublimation. Je pose l'hypothèse que, dès lors que ceux-ci sont repérés, le conscient peut entrer en jeu, en décidant de les utiliser pour, en quelque sorte, créer une "aspiration" d'énergie, favoriser sa canalisation vers des objets favorables à la régénération de l'énergie employée. Voyons où cela nous mène.

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J'ignore si tout être possède les qualités psychiques nécessaires à la sublimation, et ici encore, je prendrai comme mesure le "possible" auquel j'ai souvent recours, par allusion à la leçon du Docteur Pangloss à Candide. Comment mettre à profit " du mieux possible" le précieux mécanisme de la sublimation? Telle est la question que je me pose au long de ces lignes... Freud pense que seuls quelques élus y ont pleinement accès. Peut-être pêche-t-il en cela par un certain ostracisme de classe, dû à sa propre condition et à aux observations du milieu qu'il fréquentait. C'est en tout cas ce sur quoi je m'appuie pour conduire un peu plus loin mon exploration. En ramenant la présente réflexion à l'espace de la vie courante de ceux qui ne sont ni des génies de l'art, ni des génies des sciences, on trouve dans la vie de la plupart des êtres, même les plus frustes et apparemment dénués de sensibilité culturelle (la culture étant considérée ici au sens le plus large), des qualités créatives qui pourraient être mises à profit pour amorcer et encourager, voire développer la capacité de sublimation. L'un des aspect qui distingue l'être humain de l'être non humain, soit l'animal (en distinguant arbitrairement l'humain de l'animal, ce qui bien entendu prête à commentaires) est justement sa plus grande créativité. A tout instant l'humain modifie les conditions de sa propre vie, pour en favoriser de plus propices, de plus adéquates. Si la pièce dans laquelle il se trouve est parcourue d'un vent coulis qui lui donne des frissons désagréables, il sait quitter sa tâche pour aller fermer la porte ou la fenêtre afin de modifier les conditions immédiates de son existences, et en créer de plus agréable, donnant une petite satisfaction passagère au principe de plaisir. 

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Je me souviens de mon grand-père, paysan rustique doté d'une immense savoir dans le domaine qui le concernait directement, soit la nature environnante, le climat, le soin des animaux, des plantes du jardin, et le feu de cheminée... le dimanche, après le repas, il s'habillait plus élégamment qu'en semaine, il "s'endimanchait", et coiffait, à la place du béret poussiéreux qui lui couvrait le chef toute la semaine, un béret impeccable d'aspect, pierre de touche de sa tenue pour aller rejoindre ses amis avec lesquels il jouait aux cartes. Cet homme, qui semblait si loin de la moindre préoccupation de séduction, de style, d'image, savait poser les conditions favorables à une bonne pratique de l'amitié, susciter le respect de sa personne en commençant par la respecter lui-même (respect bien ordonné commence etc.). Prendre soin de lui participait du soin qu'il prenait du lien social, du contact avec l'Autre, et de l'estime qu'il portait à la vie. En soignant sa mise, il "créait" des conditions favorables à une après-midi de bonheur amical. Cette "récompense" qu'il s'octroyait chaque semaine était une source d'énergie claire, à laquelle il allait s'abreuver avant de reprendre le rythme exigeant du travail à la ferme, qui ne connaissait ni congés ni repos. La partie du dimanche, c'était son repos, son voyage, son loisir et son ressourcement. Lorsqu'il rentrait le soir, il était heureux, il s'était distrait, il avait joué, râlé, ri aux blagues des copains, écouté le malheur des uns et les joies des autres, quoique les confidences passaient rarement la clôture de la pudeur, chez ces messieurs. En somme, le dimanche, il avait aimé. Il avait aimé ses amis et ses amis l'avaient aimés. Et pourquoi ne dirions-nous pas qu'il avait "sublimé", puisqu'il avait investi son énergie dans un acte de création amical, création d'une tranche de vie, qui lui avait donné de la joie, de l'allant, soit un regain d'énergie. Et si, de la sublimation à l'Amour, il n'y avait qu'un tout petit pas? C'est bien celui que je vais essayer de franchir, si vous voulez bien me suivre...

(Les textes publiés sur psyka.net sont "en cours", en reconsidération, corrections grammaticales et orthographiques permanentes, ils sont vivants. Ils ne se veulent ni des propositions théoriques, ni des productions définitives. Seulement d'humbles spéculations en  ajustement constant, en perpétuel devenir...)

©Olivier Deck 13.III.24