LA PLUS BELLE CONQUÊTE (1)

Le 15/04/2024

Dans VARIATIONS

PSYCHANALYSE ET LIBERTÉ


Il est toujours, et plus que jamais, nécessaire de considérer la liberté comme un bien précieux, peut-être le plus précieux qui puisse être instauré en principe de vie pour soi et pour l'Autre. La liberté n'est pas un concept, ni une vue de l'esprit. Elle est "le" principe sur lequel se fonde la démocratie, même si des forces intrinsèques à la démocratie y attentent, pour la même raison, rapportée à l'échelle des peuples, que l'esprit lui-même attente à la liberté qu'il convoite. Peut-être que nous pourrions mieux comprendre cet antagonisme en songeant que la démocratie relève de "l'esprit" démocratique, d'une volonté commune, et en rapprochant l'esprit d'un peuple de l'esprit de chaque individu qui le compose.... Tout esprit répond à une organisation pouvant entraîner des conséquences néfastes pour lui-même. Je préfère ne pas m'aventurer plus avant sur le terrain des masses, plus incertain encore que celui que j'aborde principalement ici, et laisse chacun à son idée.

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En tout état de cause, la liberté est la condition première d'une existence heureuse. Mais avant cela, je voudrais essayer de la penser comme une tendance, un élan qui monte du fond de l'être, une force naturelle (je devrais dire : le but d'une force) qu'il me semble indispensable d'apprendre à connaître, à sentir, à canaliser, à conduire pour qu'elle exerce une influence bienfaisante sur la vie. Elle est comme un puissant et magnifique cheval sauvage qui vit dans les contrées ombreuses de l'être et cherche à venir à la lumière pour exprimer ses désirs de galopades. Un cheval qu'il faut savoir comprendre, apprivoiser, éduquer et monter en parfaite harmonie pour jouir de sa puissance et de sa capacité à nous emmener loin, sans dommages ni pour le cavalier, ni pour sa monture. Sans l'art équestre, celui qui se risque à monter sur un cheval sauvage n'ira pas loin. Il sera bientôt en danger de se diriger vers des obstacles infranchissables, des périls que sa monture ne sera pas capable de juger ou d'anticiper, ou bien entraîné inconsidérément vers des territoires où il déclenchera la guerre. En danger d'être bientôt désarçonné. En matière d'art équestre, le maître mot est : équilibre. Ce dernier ne peut s'établir que par l'effort volontaire, la connaissance et le respect. Il en va exactement de même pour la liberté. Comme l'art équestre, elle nécessite un apprentissage et un savoir. Sans quoi elle s'anéantit en retournant ses propres forces contre elle-même. Sans quoi elle conduit au désastre, à l'extermination de soi, de l'Autre ou des deux, ou du monde lui-même, puisque l'homme en a acquis les moyens. Elle se trouve toujours sous une double menace. L'une, la plus évidente, qui vient de l'extérieur, des forces qui veulent l'éradiquer ou la mettre à leur profit exclusif. L'autre qui vient de l'intérieur et, plus insidieusement encore, d'elle-même.

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Contre les forces venant de l'extérieur, qui peuvent prendre toutes les formes de la tyrannie à l'échelle des personnes ou des peuples, on serait tenté de penser qu'il n'y a rien à faire. Or si nous voulions céder un peu à un certain idéalisme, nous dirions que plus l'individu connaît la nature et la valeur de la liberté, et son importance dans la recherche du meilleur bonheur possible, plus il sera à même de la protéger pour lui-même et, par extension, pour son entourage, pour son peuple et pour l'Humanité. Plus les peuples connaissent l'importance de la liberté, plus ils sont à même de s'accorder sur son principe, plus ils peuvent l'instaurer, ou - dans les cas où ils en sont privés - se battre pour elle, avec les moyens dont ils disposent. Le politique prend la parole. Le combattant prend les armes. Le chanteur prend sa guitare. Le poète prend sa plume... La liberté ne s'accommode que de la paix pour diffuser sa splendeur. Elle n'est ni une évidence, ni une conséquence naturelle, mais une conquête, plus belle encore pour l'Homme que le cheval, n'en déplaise au comte de Buffon... Une conquête encouragée par l'énergie naturelle, toujours emportée par son élan créatif. Une conquête qui ne peut se mener à bien sans se fonder sur des valeurs, sur le respect et la confiance, deux notions qui devraient être l'alpha et l'omega de toute éducation, que celle-ci relève d'un système général, ou familial sous toutes ses formes.

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J'en viens maintenant à ma tentative de penser en quoi la psychanalyse peut se montrer une alliée précieuse dans l'accession à la liberté de vivre sa vie au plus près de ce que l'on entend. La psychanalyse, je la considère comme un art et comme un chemin. Soit une voie, au sens asiatique. Un art qui ouvre un chemin, vers soi, vers une plus grande possibilité d'être soi. Or nous savons que nul ne peut être pleinement revendiquer d'être soi sans prendre en compte l'Autre. Ne craignant pas d'enfoncer ici encore une porte ouverte, je me réfère ici à l'évidence que toute liberté, dont celle d'être soi-même, impose des contraintes. Il me semble important et humble de savoir revenir à certains évidences, elles sont parfois la proie de l'oubli ou de la négligence, et je ne trouve pas toujours inutiles de les rappeler, au moins pour moi. Sans une éthique personnelle, fondée sur des valeurs élevées, aucune liberté possible. La psychanalyse offre aux êtres de bonne volonté une voie d'apprentissage vers une existence libre et respectueuse d'autrui. Une voie d'apprentissage de l'art de vivre libre, le plus libre possible. Un moyen de chevaucher la liberté et d'aller vers l'équilibre. J'entends par "être de bonne volonté" celui qui cherche la justesse dans ses rapports à l'Autre. L'énergie qui pousse vers la liberté , je pourrais dire l'énergie de la liberté, est ambivalente et peut se mettre au service de la vie comme de la destruction. Si l'on n'y prend garde, l'énergie de la liberté peut même pousser à la destruction. Les exemples ne manquent pas, d'un camp qui doit conquérir sa liberté par la force, par la révolution ou la guerre. Et moins positivement, les exemples ne manquent pas non plus d'un camp qui cherche à gagner sa liberté au détriment de celle d'un autre camp, enfreignant le respect nécessaire à l'équilibre, et semant le germe de la guerre. La liberté est le bien suprême, c'est d'elle que l'on prive qui a enfreint la règle, dans les démocraties comme dans les dictatures, pour des raisons les plus diverses.

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La psychanalyse est une marche vers la liberté avec laquelle elle a pourtant maille à partir parfois. Lorsqu'on décide d'engager une analyse personnelle, on décide d'emprunter le chemin de la liberté, qui passe par une connaissance toujours plus approfondie de soi-même. Pour accéder à une liberté meilleure, il est nécessaire de trouver un accord, une harmonie avec les forces libertaires qui montent naturellement de l'inconscient, et qui cherchent à satisfaire leurs désirs. Ces forces, issues de l'énergie primordiale, sont sauvages, impérieuse, puissantes et nécessitent, pour s'exprimer, un passage vers la réalité, une surface de contact. Celle-ci est la perception consciente de l'être, son rapport au monde et à lui-même. Le "moi", puisque le moi est à la fois tourné vers l'intérieur et vers l'extérieur. S'il était le simple esclave de l'inconscient, voué à la satisfaction de ses désirs et de ses caprices, le moi aurait tôt fait de le conduire le ça à la destruction, en le poussant vers des situations incompatibles avec la réalité et la vie. Les revendications enfouies dans l'ombre de l'esprit sont portées par la tendance ambivalente à la Liberté. La Liberté, je l'écris maintenant avec une majuscule tant elle est un bien indispensable au vrai bonheur, débarrassé du mieux possible de la servitude. Du mieux possible, parce qu'une part de servitude est indispensable à l'accession à une liberté vivable, qui fonde un équilibre avec soi-même, avec l'Autre, avec la pratique de la vie.


à suivre


©Olivier Deck